On en a gros

humeur

angry

C’est la méga merde. Je crois que j’ai besoin de faire un bilan de ce qui se passe mais aussi de ce qui s’est passé ces derniers mois. C’est mon histoire, mon point de vue, ma version des faits. Je vais peut-être dire des conneries, peut-être dire des choses qui sembleront éloignées de la vérité des autres. C’est un truc que j’ai appris avec ma mère : notre vérité ne correspond pas forcément à la vérité des autres, même quand tu essaies d’être factuel.

J’ai commencé mon taff actuel dans des conditions désastreuses. C’était y’a 3 ans. Et j’ai jamais oublié. J’ai beaucoup moins de rancoeurs. J’ai digéré mais j’ai pas oublié que les premiers “cours” en tant que formatrice en code que j’ai donnés se sont déroulés dans une usine en ruines, sans vitre aux fenêtres, en plein hiver, avec 4 petits radiateurs aux pellets pour chauffer un 300m². On arrivait parfois à atteindre les 12°c dans la salle. On avait calfeutré avec des vieux cartons, du vieux tissu et du scotch. “Vous avez hacké votre environnement ! Bravo !” Quel bullshit pour éviter de dire qu’on nous a abandonnés dans un immeuble insalubre et dangereux, menaçant de s’écrouler à chaque instant, avec des gravats, des seringues abandonnées et qu’on essaie de faire notre travail malgré ces conditions. Putain, du bullshit, j’en ai entendu pendant ces 3 années mais j’avoue que “vous avez réussi à hacker votre environnement” c’était quand même le summum de l’enculade.

A l’été 2018, je suis en charge d’une promo de 25 personnes. C’est ma troisième. Je suis dans les locaux du quartier général de ma boîte. Ma seconde promo s’est super bien passé mais pour celle que je viens de reprendre, c’est la merde. Je n’ai pas participé aux sélections, je n’ai pas assisté aux premières semaines. Du coup quand j’ai débarqué, j’ai du reprendre un groupe de personnes qui m’attendait comme le Messie. Le précédent formateur n’avait pas mal fait son boulot, il avait fait son possible, mais le groupe comptait déjà des éléments perturbateurs qui se distinguaient par leur faculté à ouvrir leur gueule pour chougner plutôt qu’à prendre les choses en main pour réellement changer les choses. Avec le recul, il n’y avait aucun moyen que je gagne la guerre qu’ils m’avaient déclarée. Pas de bol également pour eux, ils ont changé au moins 6 fois de formateur. Pour un groupe, pendant 7 mois, c’est énorme, c’est même trop. Un groupe doit être suivi du début à la fin par un même formateur parce qu’il apprend à connaître chaque personne, leurs forces et leurs faiblesses, il doit connaître leur évolution pour pouvoir répondre au mieux à leurs doutes. Ouais, c’est beaucoup d’investissement émotionnel. Et puis avoir un même formateur du début à la fin, ça assure une certaine cohérence. Si je dis “pas de cours, pas de propos discriminatoire, pas de retard” et qu’un autre formateur dit et fait l’inverse, c’est pas cohérent, c’est perturbant et c’est l’assurance d’un beau bordel émotionnel.

Y’a qu’à voir comment on se sent actuellement mais j’y reviendrai plus tard.

Eté 2018 donc, j’enchaîne les collègues pour m’assister sur cette promo difficile. J’ai un collègue qui m’humilie devant mon groupe, un autre qui se positionne volontairement comme misogyne, déclarant même publiquement que selon une étude les femmes ne sont pas génétiquement faites pour savoir coder. Selon l’Histoire, ce sont les femmes qui ont codé les premières mais merci non merci de ta haine mon con. J’ai eu d’autres chouettes collègues mais ça a été difficile. Le harcèlement moral que me faisaient subir certains apprenants n’a pas aidé. J’ai tiré la sonnette d’alarme. J’ai posé des conditions, exprimé des “plus jamais ça”. J’en ai eu marre d’être le cobaye pour les autres promos et les autres campus mais le quartier général, c’est l’incubateur à nouvelles idées. On m’a quand même promis que ça allait aller mieux en octobre, au mieux en novembre. J’entends encore cette phrase “un peu de patience, ça va aller mieux”. Et en novembre 2018, mon boss s’est fait remercier. Les promesses n’ont pas été respectées. Mais un collègue allait le remplacer. Un homme de terrain qui croit en notre pédagogie pour l’avoir mise en place et appliquer depuis day one. J’y croyais. A mort.

Je crois que là, c’est vraiment parti en couilles. Avant, en plus de ma promo, je faisais des petites tâches. Des petits trucs à droite à gauche. Mais depuis fin 2018, on m’a confié des grosses missions, des gros projets, des gros trucs qu’on ne fait pas “quand on a 5 minutes”. J’ai prévenu que ça allait poser problème. J’ai demandé à un collègue proche d’arrêter de bosser les soirs et les week-ends. Je savais qu’à terme on lui reprocherait une baisse de régime. Je savais qu’à terme, il rouspèterait de ne même pas recevoir un merci de la part de ses supérieurs. Et ça n’a pas manqué. Printemps 2019, il en avait marre. Début de l’été 2019, on lui a reproché de moins être efficace. Le gars était formateur et développeur web. Deux grosses fonctions. Et on lui reprochait des trucs insignifiants. Et finalement, fin juillet, il est parti/a été remercié. On lui avait reproché de ne pas faire des choses qui n’étaient pas dans son contrat. Je me promets de ne jamais travailler de chez moi. J’en viens à changer et ne pas mémoriser mes mots de passe professionnels pour ne pas être tenté. Il m’a permis de retenir 33% de la leçon.

Automne 2019, j’exprime que le départ de mon collègue proche m’a profondément affecté. J’exprime que je n’arrive plus à tout faire, que j’aimerais garder un mi-temps de formatrice mais que je le combinerai avec un mi-temps pour faire sereinement ce que je fais pendant mon temps de formatrice. Pourquoi officialiser les choses ? Pour qu’on me permette de faire ce qu’on me demande correctement. Pour faire en sorte qu’on ne puisse pas me reprocher de mal faire ou de ne pas avoir le temps de faire mon travail. Pour faire en sorte que mes stagiaires ne soient plus affectés. Décembre 2019, la promesse de l’aménagement est faite. Ca, c’était 33 autres pourcents de la leçon du collègue dégagé.

Janvier 2020, des nouvelles patronnes. L’ancien supérieur est mis en retrait mais lorsqu’il revient, les rôles ne sont plus clairs et je ne sais plus à qui je dois répondre. Je ne sais pas à qu je dois rendre des comptes. Surtout, surtout… je ne sais plus à qui je peux demander de l’aide. Février 2020, je redemande des nouvelles des promesses d’aménagement. On me dit qu’on en parlera. En attendant, mes stagiaires me disent qu’ils voient qu’on est surchargés de travail, qu’on passe notre temps soit sur notre ordi à bosser, trop concentrés pour voir ce qui se passe dans la classe, soit en réunion. Et c’est vrai que ces 7 derniers mois, on était à deux formateurs temps plein (du jamais vu) pour cette classe et ni moi ni mon collègue n’avons eu le temps de faire correctement notre travail : être sur le terrain, avec eux, derrière eux, à motiver les stagiaires, regonfler leur moral, leur égo, démystifier les ombres du code… Mars 2020, on nous demande de sélectionner 31 personnes pour une promo où on ne serait plus à deux formateurs à temps plein mais un formateur temps plein (coucou) et un mi-temps. Sachant que le collègue à mi-temps devra se concentrer davantage sur le lancement d’un nouveau cursus. Autant dire que je vais retourner dans la zone “démerde toi toute seule ma grande”. Mais c’est aussi 31 appprenants dans une salle qui en contient difficilement 29. Lors de la précédente promo, ils étaient 30. Parmi les 30, on avait identifié des profils qui pouvaient abandonner au début. On comptait secrètement sur eux pour avoir une classe vivable d’ici les premières semaines. Ils étaient 30 mais on n’avait pas assez de place pour installer des tables pour tout le monde. Les premières semaines, certains étaient à 2 sur une table avec chacun son ordinateur pour bosser. 32 personnes à temps plein en pleine canicule dans un local pas super bien isolé et avec le soleil qui tape bien dans nos gueules. Ca a été un putain de régal (non) mais on nous avait promis que plus jamais ça arriverait, qu’on avait compris la leçon. Donc je résume : pas d’aménagement de mon temps de travail ou de réduction des responsabilité pour moi, pas de confort pour eux. Et ces mots “on privilégie les relations et les ateliers pour les partenaires plutôt que la formation qu’on donne aux demandeurs d’emploi”. Wahou. On chie de plus en plus sur le concept original de la boîte.

L’histoire de notre centre de formation, du projet pour lequel je travaille, c’est celle-ci : Lendemain des attentats de Bruxelles. 6 amis avec de la thune se réunissent pour se demander comment ils peuvent changer les choses. Et ils décident de proposer une alternative aux gens qui n’ont pas d’espoir, pas de travail, pas de perspective d’emploi grâce au code. Rendre employable ceux que la société a abandonné, pour éviter qu’ils ne se retournent contre elle. Sans qu’on me parle de cette histoire (légence ?), j’y croyais déjà à mort dans le concept. Je viens de là. J’ai pas de diplome, l’état de mon pays natal m’a chié dessus, j’ai fait des formations en Belgique pour me reconvertir professionnellement et avoir un avenir (surtout de la thune pour payer le loyen et la bouffe à la base). Je sais à qui ça doit bénéficier ce qu’on fait.

Aujourd’hui, on veut satisfaire les partenaires, les mécènes, les CFO et CEO qui veulent du chiffre. On fixe des KPI à 80% aux formateurs. On leur demande de donner cours à des gens qui paient en même temps que de former des gens qui n’ont pas d’argent et de travailler sur des projets en interne qui ont pour but d’améliorer notre quotidien parce qu’on n’a pas la thune pour les faire développer en externe. On est partout et nulle part. On fait tout mais on est bons à rien. On est responsable mais jamais là. C’est n’importe quoi.

Aujourd’hui, après des mois à avoir dit que ça devenait insupportable, c’est devenu encore pire. Certaines grosses têtes tirent à vu sur tout ce qui bouge, colportent des rumeurs dégueulasses, menacent des collègues, manipulent des managers. Notre grande famille n’est plus, nos amis sont devenus nos ennemis. On doit se méfier de potentiellement tout le monde.

Aujourd’hui je repense à notre culture d’entreprise : se soutenir les uns les autres. C’est devenu impossible. Impossible.

Aujourd’hui, je n’y crois plus.

J’aurai besoin d’un miracle pour retrouver la foi.

Written on March 10, 2020