Français mais pas que

humeur

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Je suis née en France, de parents Français et j’ai grandi en France. J’ai grandi en France et il m’est arrivé d’apprendre que les copains n’avaient plus le droit de me fréquenter parce que mon nom de famille ne faisait pas assez Français. C’est arrivé une fois mais c’est arrivé. Ce n’est pas dramatique. Ça m’a permis d’apprendre que ça ne valait pas la peine de lutter pour se faire accepter par des idiots. Ado, c’est arrivé aussi que des copains ne le soient plus, tout à coup, lorsqu’ils apprennent que mon nom n’est pas d’origine Française. Car effectivement, née en France, de parents Français, je porte l’héritage italien de mon père dans les lettres de mon nom. Ça pourrait être pire, je pourrai avoir un nom qui sonnerait maghrébin (ou musulman, comme disait Sarkozy) ; encore que, m’a-t-on dit une fois, mon nom sonne quand même un peu maghrébin (pas étonnant, j’ai appris quelques temps plus tard qu’effectivement, les origines lointaines de ma famille italienne se trouvent en Tunisie). Je ne sais pas si j’aurais vécu la même chose si j’avais eu un nom plus germanique. J’en sais rien et je ne le saurai jamais. Là encore, je me suis dit que s’ils préféraient m’éviter à cause de mon nom plutôt que me bouder à cause de ce qui je suis, ça ne serait qu’une perte de temps et d’énergie que de leur courir après pour leur montrer qu’un nom ne définit pas si une personne est bien ou pas. Plus tard, par une suite de choix pas toujours judicieux, je suis allée dans une université avec une réputation qui n’est plus à faire et après la première période des examens, après avoir pourtant travaillé comme une folle, j’ai échoué. À la permanence de correction, un prof m’a montré ma copie. Le talon pour rendre la copie anonyme n’avait pas été détaché. La copie était intacte. Je comprends que le correcteur savait qui j’étais quand il a corrigé. J’avais déjà essuyé quelques remarques sexistes, quelques remarques racistes mais naïve, je pensais que mon travail serait reconnu malgré tout grâce à l’anonymat des copies. Bien sûr, j’avais dû rendre des comptes aux parents, surtout à ma mère. Et elle m’avait dit, un jour, peut-être avec légèreté, qu’il faudrait peut-être que j’envisage de prendre son nom de famille à elle, puisqu’il sonne français, pour réussir mes études. Je ne sais pas si elle l’a dit avec tout son cœur, mais le mien de cœur s’en est rappelé. Je n’ai pas cédé et je ne céderai pas.

Physiquement, je trouve que je ressemble beaucoup à ma mère. C’est d’ailleurs, curieusement pour ça que, parfois, certaines personnes ont pensé que j’avais des origines asiatiques, à cause de la forme de mes yeux. Pourtant, je n’ai pas les yeux bridés. Et ça, la majorité des gens le voit bien. Mes oncles, eux, trouvent que mes origines génétiques du sud de l’Italie sont très marquées. Au final, j’ai l’impression que chacun voit ce qu’il a bien envie de voir.

Lorsque j’ai eu 23 ans, je suis partie vivre à l’étranger. Pour la première fois, j’étais vraiment une étrangère. C’est un peu plus tard que je me suis rendue compte que dans ce pays-là, tout le monde est étranger. Même les locaux sont vus comme des étrangers par leurs concitoyens. À Bruxelles, je n’ai pas eu l’impression qu’il y avait tant de problèmes de racisme. On ne m’a jamais dit que j’étais une bâtarde, ou une sale ritale. À Bruxelles, je suis juste moi. De temps en temps, on me demande si je suis Française, à cause de mon accent. Puis on me demande d’où je suis en France. 8 ans qu’on me le demande et je ne sais toujours pas quoi répondre. Je suis née dans le nord-est. J’ai grandi dans les champs du Beaujolais. Majeure, j’ai vécu 5 ans à Lyon avant de rejoindre le plat pays. 5 ans à Lyon. Ça semble pas grand chose pourtant quand on me demande d’où je viens et que je réponds sans réfléchir, je dis que je suis de Lyon. En vérité, je ne sais pas vraiment quelle est la bonne réponse.

Pendant ces 5 ans, j’étais en résidence universitaire pour boursiers et pour étrangers. Mes voisins étaient majoritairement étrangers. Ils étaient Chinois, Vietnamiens, Congolais, Suédois, Norvégiens, Australiens, Syriens, Libanais,… On demande toujours de quel pays on vient, pour savoir comment c’est ailleurs parce qu’on sait tous comment c’est sur place : on est tous dans une petite chambre, on partage tous la même cuisine, les mêmes douches, les mêmes toilettes, les mêmes règles d’hygiène et quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, si on entend quelqu’un qui est dans la merde, on sort tous pour aider. Je sais bien que ça ne se passe pas toujours comme ça en cité U mais là où j’étais, c’était comme ça.

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Aujourd’hui, ça fait 8 ans que je suis à Bruxelles. Dans mon immeuble, il y a un appartement avec des Belges, le reste est occupé par des étrangers qui parlent plus de 4 langues. Dans le bus, on entend parler toutes les langues. Dans mon quartier, il y a des Portugais, des Japonais, des Italiens, des Anglais et des Français. Je prends des cours du soir d’italien dans un institut qui donne beaucoup d’autres cours de langues. Dans ma classe, il y a plus d’étrangers que de Belges. C’est comme à Lyon, je suis entourée par des étrangers. Et ça me plaît.

Aujourd’hui, j’envisage de rentrer en France. Parce que je ne parle toujours pas néerlandais et que pour trouver du travail, le français et l’anglais ne suffisent pas toujours ici. Parce que c’est vrai ce qu’on dit, la météo joue beaucoup sur l’humeur et que l’absence de beau temps 9 mois sur 12, c’est pesant. Parce qu’ayant une culture culinaire plus proche de celle de la France et de l’Italie, j’ai beaucoup de mal avec la cuisine belge. Parce que l’internet est cher et limité (quoi qu’on en dise, c’est le cas). Parce que mon appartement est littéralement en train de moisir, que les autres logements sont de toute façon trop anciens, trop mal isolés et non dotés de volets et qu’en hiver, on se gèle les couilles.

C’est vrai, ici, à Bruxelles, les accords entre ma mutuelle et ma maison médicale me permettent de ne pas payer le médecin. Je suis remboursée correctement au niveau de mes frais dentaires et je n’ai pas eu à me ruiner pour mes lunettes alors que je paie moins de 9€/mois de cotisations. C’est vrai, ici, à Bruxelles, on ne paie que 89€/an de taxes régionales par logement. C’est vrai, ici, en Belgique, les impôts sont retenus sur le salaire. Dès lors, lorsqu’on parle de salaire net, il est vraiment net d’impôts. C’est vrai, ici, en Belgique, ma banque ne me fait payer aucun frais et je peux quand même aller dans une agence physique si j’en ai besoin. C’est vrai, ici, à Bruxelles, je paie un loyer équivalent à la proportion de 10€/m², charges incluses (eau et nettoyage des communs). C’est vrai, ici, en Belgique, si je veux faire une formation professionnalisante, je peux en trouver une qui soit gratuite pour les demandeurs d’emploi, qui soit à temps plein et qui se conclut par un stage en entreprise. C’est vrai aussi qu’ici, en Belgique, si je veux faire rembourser mes frais d’inscription à mes cours de langue, je n’ai qu’à justifier d’avoir réussi l’examen de fin d’année.

_config.yml Quartier de Flagey, Ixelles

Je n’ai pas eu peur de partir de France. Je n’avais plus grand chose à perdre et j’avais tout à gagner à l’étranger. C’était un pari, risqué après réflexion mais un pari gagnant. Aujourd’hui, j’ai peur de rentrer. Je pense, j’espère, je vais tout faire pour trouver un emploi et un appartement décent (salubre quoi), pour me refamiliariser avec l’administration française (= l’Enfer) et tout et tout mais j’ai peur, malgré tout, de me retrouver dans un environnement trop homogène, trop franco-français. Parler et entendre plusieurs langues, rencontrer des gens originaires d’ailleurs, découvrir et échanger sur d’autres cultures, c’est quelque chose qui me manquerait cruellement je pense. Beaucoup plus que le bon pain me manque en Belgique. D’autant que je n’avais jamais réfléchi à la difficulté psychologique de rentrer au pays quand le pays et moi-même avons beaucoup changé.

Je n’ai pas perdu une miette de tes changements, France. Pas une. Je sais que là où je retourne, ce n’est pas la même France que j’ai quittée. Pour le meilleur ? Pour le pire ? On verra. J’espère que tu es moins raciste qu’auparavant. J’espère que tu es moins réac’ que tu n’en donnes l’impression dans les médias à l’étranger,. J’espère que tu as grandie et murie, comme je l’ai fait de mon côté. J’espère qu’on se retrouvera toutes les deux, comme deux amies qui ne se sont pas vues depuis des années mais qui ont encore beaucoup de choses à partager.

J’espère aussi trouver ma place. En tant que Française mais pas que. Parce que je sais, depuis que je suis enfant, qu’aux yeux des autres, je suis “Française mais pas que”. Sauf qu’aujourd’hui, c’est normal. Aujourd’hui, je suis “Française, ayant vécu à l’étranger, parlant plusieurs langues” en plus d’être “Française, née d’une mère française et d’un père franco-italien et de grands-parents italiens”. Je ne me fais pas trop de souci. Si des milliers de gens arrivent à vivre en France en étant des “Français mais pas que”, y’a pas de raisons que je n’y arrive pas.

Putain.

_config.yml Dietro di me, il mare di Chioggia

Written on May 24, 2015