Lorsque l’économie n’est plus au service de l’humain

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La question ne pouvait pas se résumer à un simple : « pourquoi est-ce que les gens surfent pendant qu’ils sont au bureau, censés bosser et être productifs ? ». J’y pensais de plus en plus parce qu’avec ma pote Leeloo, on est des blasées du marché du travail. Elle et moi, nous n’avons pas les mêmes parcours, ni subi les mêmes mésaventures, et pourtant, on se retrouve souvent sur les Internets à discuter, principalement pour se raconter des histoires liées à notre travail. (comme quoi, y’a quand même un rapport avec la choucroute).

Justement, tout à l’heure, Leeloo postait un lien vers un article très intéressant : La société produit des métiers inutiles. Bien sûr que ça enfonce des portes ouvertes. Tout le monde le sait qu’il y a pleins de jobs qui ne servent à rien. Souvent, d’ailleurs, c’est associé à des titres hyper pompeux. Le mec, il est directeur marketing dans une grosse boîte, il touche pas moins que 10 000€ par mois et la seule chose qu’il fait, c’est déléguer à des stagiaires ou des mecs qui sortent des écoles, qui souhaitent réussir, « comme » lui. A côté de ça, un agriculteur serait trop content s’il était sûr de toucher 1200 boules tous les mois sans s’inquiéter des saisons, de la pénurie de production, des scandales alimentaires.

Certes, il y a des personnes (et j’en connais) qui ont réussi à devenir PDG en travaillant, en ayant de bonnes idées et en se battant pour les réaliser. J’en connais même qui, après 30 ans de métier, arrivent toujours les premiers au bureau, sont les derniers à partir et effectuent parfois certaines tâches qu’on refile d’ordinaire aux petites gens de son entreprise, ceux qui touchent le plus bas salaire. Mais ils sont rares ces boss qui savent faire quelque chose de leurs 10 doigts. Trop rares.

Ce sont les patrons tellement impliqués dans l’avenir de leur société qu’ils me font penser à Creed dans The Office (le personnage qui ne sait même pas quelle est sa fonction, ni ce que fait sa boîte alors qu’il y travaille depuis des années) qui sont, à mon sens, un véritable problème. Où est le mérite lié au salaire ? Où est l’importance de la fonction par rapport au titre ?

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Revenons plutôt à pourquoi on se fait chier au bureau. Parce qu’on sait que ça sert à rien. Moi-même, quand on me demande ce que je fais dans la vie, j’ai même pas envie d’expliquer. Déjà parce que mon titre ne veut rien dire, que ma fonction au sein de l’entreprise, quand j’y pense, me file des angoisses tellement je me demande pourquoi je perds autant de temps de ma vie à participer à cette mascarade (et puis après je me rappelle le loyer, les factures, et je ferme ma gueule. Je suis lâche. Je sais.). Bref, je ne sers à rien. Je ne nourris personne, je n’aide personne, je n’instruis personne, je ne sauve personne. Je ne sers à rien du tout.

Je participe à l’économie en fournissant un travail (à la con) pour lequel je suis rémunérée et qui permet à ma boîte de toucher du fric. A part brasser du vent et de l’argent, même ma boîte ne sert à rien.

Mais j’ai internet. Alors pour éviter de sombrer dans l’ennui et la dépression, je surfe de temps en temps. Quand mes collègues vont fumer leurs clopes, moi je vais checker un peu ce qui se passe dans le monde. J’espère qu’ailleurs, loin de mon bureau isolé, il se passe des choses passionnantes. Et quand les collègues rentrent, empestant le tabac, gloussant de la dernière blague pas drôle du boss, je retourne à mes données, mes chiffres et mes lettres.

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Quand j’étais petite, comme Leeloo, on m’a promis le job de rêve. Elle en parle d’ailleurs dans son excellent billet de blog sur le Travail Charmant. On m’a bassiné pour faire des études. On m’a gentiment expliqué que les formations professionnelles, c’est pas bien. Il faut faire de vraies études, aller à la fac ou dans une grande école pour avoir pleins de diplômes pompeux. Et comme toute une génération qui a appris la signification de « chômage » avant celle de « CDI », je n’ai pas fait de CAP ébénisterie, électricien ou boulanger. A la place, je suis allée à l’université. On m’a dit « si tu veux avoir un métier classe et ne pas te retrouver au chômage, fais des études ». Je me suis dit qu’au pire, si je ne pouvais pas devenir coiffeuse, je pouvais devenir prof. Mes oncles n’arrêtaient pas de dire que c’était la planque, que t’avais les mêmes vacances que les gosses (= beaucoup trop pour que ça soit un job honnête), que t’étais fonctionnaire (= t’es invirable = sécurité de l’emploi = la gloire) et que c’est pas chiant si t’aimes les gamins (eh merde). Bon, sauf qu’entre temps, prof, c’est devenu un métier précaire, mal payé, sans considération (à peu près).

Du coup, je me demande… Si on a incité et qu’on incite encore les futures générations à snober les métiers utiles au profit de jobs inutiles, qu’adviendra-t-il de notre société le jour où il n’y aura plus qu’un seul gynéco pour toute une région (on n’en est pas loin), un seul prof pour 50 classes, que le lait sera synthétisé et non plus sorti du pis d’une vache faute d’agriculteur qui accepte de se ruiner pour élever du bétail…

J’ai appris pleins de trucs qui ne servent à rien dans la vie de tous les jours. J’ai écrit des pages et des pages de conneries qui n’ont fait rêver que des profs qui s’extasiaient sur du « par cœur », faisaient fi des fautes d’orthographes et kiffaient de forcer 450 étudiants à acheter leurs propres ouvrages sous peine de ne pas valider leur trimestre. Le masque est tombé, tu es étudiant, tu es déjà dans le système. Tu ne sers à rien et c’est parti pour durer très longtemps.

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Je voulais faire une liste générale des jobs qui ne servent à rien mais je réalise que ça serait plus facile de faire la liste des métiers qui sont utiles, réellement utiles. Comme les gens qui nous nourrissent (les éleveurs et les agriculteurs), qui nous permettent de nous abriter (les métiers de la construction, y compris les architectes qui font de vraies études qui servent à quelque chose), ceux qui nous soignent (médecins, vétérinaires… bah oui, pour soigner nos vaches bordel !), ceux qui nous instruisent (parce que l’instruction, c’est aussi important que l’éducation ; apprendre et savoir apprendre, c’est essentiel), ceux qui font nos habits (à poil c’est bien, mais habillé, en Belgique, je ne vous cache pas que c’est quand même mieux), ceux qui nous protègent et rendent la justice (parce que sinon, c’est le bordel). On pourrait dire que la politique est importante mais de nos jours, la politique est surtout influencée par l’économie. Le problème, c’est que si à la base, l’économie est censée nous servir, depuis des années, c’est l’inverse. Comme je l’ai dit, c’est le problème. Du coup, alors que la politique est censée être au service du peuple, pour le moment, c’est également l’inverse. Et c’est aussi un très grand problème.

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Je ne suis pas partisane de l’expression « il nous faudrait une bonne guerre ». D’ailleurs, je fais partie de ces petits-enfants de combattants de la seconde guerre mondiale. Ma génération n’a pas connu la guerre et on prie pour ne pas en connaître une seule. On ne mesure pas l’étendue de l’horreur mais on la soupçonne bien assez pour savoir qu’il y a un énorme poids, indéfinissable derrière ce mot. « guerre ». Parce que même avec les nouvelles technologies et les superbes expressions où on nous parle de guerre propre, de tirs chirurgicaux, la guerre, ça fait toujours des victimes civiles, ça rase des villes, ça détruit des vies par la mort et le traumatisme. Et que je préfère une vie où la seule horreur que j’aurai à vivre est celle de savoir que les fans de One Direction ne connaissent pas The Who. (mon dieu, que les jeunes sont cons de nos jours…)

Je ne suis pas trop trop fan non plus du retour à l’âge des hommes des cavernes. Les maladies, l’absence de contraception mais aussi l’inexistence de moelleux au chocolat, ça me rebute un peu.

Mais c’est clair qu’il y a un truc qui pue sur Terre.

Je n’ai pas la solution. Je l’ai dit, je le redis, la seule chose que je peux espérer, c’est mettre suffisamment de côté pour acheter un terrain avec des potes pour qu’on se fasse un truc autosuffisant. Oui, un truc de hippies, si vous voulez. Pour moi, ça serait plutôt, comme mes grands-parents. Ils ne sont pas hippies, ce sont juste des italiens qui savent comment travailler le sol, comment élever des bêtes, comment faire des miracles avec le peu qu’ils ont. Je ne fais rien pour le moment, mais j’espère un jour avoir les moyens de changer la donne.

Written on September 13, 2013