Comment ce confinement m'a brisé

Humeur

Je suis supposée aller me balader avec un de mes deux meilleurs amis dans une heure.

Sauf que ça fait deux mois que je me pose mille questions à propos de tout. Et notamment, de savoir si cet homme est encore un ami pour moi. J’essaie de me concentrer sur les faits, sur le fait qu’il est toujours là, sur le fait qu’on ne se voyait pas tous les jours mais que quand j’avais besoin, il était là pour moi. J’essaie de replacer le contexte du confinement qui a tout bouleverser. Nos habitudes, nos émotions, nos libertés, notre rapport au monde et aux autres. Aujourd’hui, parce que lui, comme d’autres, n’agit pas ou plus comme avant, selon mes besoins et mes envies, j’ai peur qu’il s’éloigne de moi. J’ai peur de perdre son amitié. Alors que son choix de vie pendant le confinement avait tout simplement été de rester seul dans sa bulle, sans laisser personne y rentrer. Ni moi, ni les autres. Et je l’ai pris personnellement alors qu’il me l’a répété : c’est pas contre toi, c’est juste un choix personnel et je suis navré mais tu dois le respecter.

Je culpabilise d’être étouffante, d’être de trop. Je culpabilise de ne pas aller bien. Je culpabilise parce que j’ai l’impression que si je perds mes amis, c’est ma faute. Parce que je les repousse, parce que je suis chiante. Parce que le confinement m’a bousillé émotionnellement et que même moi, je ne me supporte plus. J’essaie de mettre en place des mécanismes pour m’aider, pour m’encourager, pour me redonner de l’espoir, pour pointer les améliorations, les succès, les choses que j’arrive à faire (contrairement à il y a quelques semaines ou tout simplement la veille). Au début, je n’allais pas bien et je me disais que c’était la faute des autres. Puis je me suis rendue compte qu’énormément de choses se passaient dans ma tête. Problème : uniquement dans ma tête.

Mon autre meilleur ami, avec qui je suis beaucoup plus proche, n’a pas pu être disponible comme je l’aurais souhaité durant le confinement. Télétravail, personne qui est restée coincée chez lui pendant le confinement, faire de l’occupationnel pour pas péter un câble,… Oui, forcément, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour moi. Et je l’ai pris personnellement, comme s’il m’écartait de sa vie. Je savais, par les faits, par ce qu’il m’avait expliqué, qu’il ne pouvait pas être disponible. Et pourtant, cette voix dans ma tête a continué de me répéter que s’il voulait trouver du temps, il le ferait. Et l’autre voix me disait “mais putain, il le trouve le temps, il t’appelle tous les matins pour savoir comment ça va !”. Ce matin, il m’a dit que j’avais l’air mieux déjà, que j’avais une meilleure voix. Mais moi à l’intérieur, je m’inquiète toujours autant de ne plus jamais le revoir, d’être repoussée, abandonnée, parce que je suis bousillée, que je suis déprimée, que je pleure pour un rien, que je suis trop émotive, beaucoup plus qu’avant.

Et pis l’autre truc qui m’a bousillé pendant le confinement, c’était de ne pas pouvoir sortir alors que mes voisins se hurlaient dessus pendant des heures. La violence des hurlements, des mots, des propos, et la duréee de tout ça. Bien sûr que j’appelais la police mais parfois elle venait, parfois, elle ne venait pas. A chaque fois, on me demandait de sortir pour faire face aux voisins. Moi, en crise d’angoisse, incapable de me tenir debout ? Descendre dans la rue et faire face à des gens violents entre eux ? Non, c’était pas possible. Je ne me sentais pas à l’aise ni en sécurité chez moi. Car même s’ils ne pouvaient pas venir jusque chez moi, les entendre suffisait à me détruire le moral et à me mettre à terre, dans tous les sens du terme. Quand je me réveillais le matin, j’angoissais de les entendre tôt ou tard. Je savais que ça allait recommencer, je ne savais juste pas quand. Et ça me terrifiait. Nulle part où fuir, c’était insupportable.

Aujourd’hui, je fais le bilan après deux mois de confinement (j’ai été en arrêt maladie avant le confinement officiel donc autant te dire que j’avais déjà une semaine de rab’ dans les dents quand le confinement a été annoncé par le gouvernement). Aujourd’hui, je fais le bilan et j’ai fait tellement de crises d’angoisse que j’ai du accepter de prendre des anxiolitiques. Chose qu’on m’avait conseillé avant mais que j’avais toujours refusé de prendre. Pourquoi ? Parce que je veux pouvoir me prouver à moi-même que je peux y arriver, que je suis plus forte que ça, que je suis capable. Et puis l’échec. Non, je ne peux pas y arriver, j’ai désespérement besoin d’aide. Pour la première fois de ma vie, j’ai donc cédé. Alors que même en cas de migraine, je préfère souffrir que prendre un doliprane. Mais là, c’était trop. M’allonger par terre, trembler sur le sol, n’importe où et pleurer et espérer que quelqu’un me vienne en aide, même la Mort si besoin, c’était plus possible.

Grâce aux médicaments (qui ne sont pas de fortes doses, faut avouer, je suis pas droguée), j’ai même une routine :

Le matin, je me réveille tous les putain de jours en tremblant à 7h pile. Je tente de me calmer naturellement, je fais des exercices de respiration, je souris en me forçant, je me répète que tout va bien. Je suis dans mon lit, je suis en bonne santé, mes chats sont en bonne santé, je suis en sécurité, tout va bien. Mais je tremble encore et encore et rien n’y fait, je dois arrêter de faire ma tête de mule et prendre ce putain de cachet.

Le midi, ça dépend des jours. Pendant plusieurs semaines, malgré le demi-cachet du midi, je mangeais assise sur le sol de ma cuisine. Incapable de manger assise ailleurs. La proximité du sol me rassurait, l’impasse de ma cuisine me permettait de me sentir comme dans un terrier. Ca allait pas, mais je survivais. Puis, j’ai anticipé les midis difficiles : le soir, je me faisais à manger pour le lendemain. En sachant que j’aurai pas faim, que j’aurai pas envie, que j’allais me forcer,… Pas la peine de faire de la grande cuisine, là, on parle de bouffe de survie. D’autant que le confinement n’a pas été tendre avec moi. 7kg j’ai perdu. 7 putain de kilos alors que déjà de base, je suis pas grosse. Mais je reviens sur ce point après.

Le soir, ça va, je pète le feu. Ca m’arrive bien sûr d’avoir envie de pleurer mais c’est pas les chutes du Niagara et je regarde pas le couteau japonais caché dans le fond de mon tiroir avec l’envie de me faire des dessins sur les avant-bras. Juste des fois, j’en ai plein le cul, je tire mes 4 larmes et ça va mieux. Mais en général, j’ai suffisamment la pèche pour faire des vidéos de merde, regarder des conneries (mais pas longtemps), pour dire de la merde au téléphone avec des amis/collègues ou mon père.

D’ailleurs, je dois dire que mon père a été exemplaire pendant cette période. La première fois que je l’ai appelé, j’ai osé le “non. Ca va pas Papa. Je sais pas ce que j’ai mais…” et j’ai éclaté en sanglots. Et tous les jours depuis, il m’appelle pour vérifier comment j’évolue, comment ça va. Parfois il passe une heure à me raconter ce qui se passe à la télé. Ca sert à rien mais moi ça me fait du bien de me sentir connectée avec lui. Parfois on parle sérieusement et ile me donne son avis. Je sais donc que tous les matins, un ami m’appelle et tous les soirs mon père m’appelle. Je ne suis pas seule. Des gens s’inquiètent pour moi. Des gens sont là, ils ne m’abandonnent pas. Je compte pour eux. Ils sont pas payés pour, ils le font parce qu’ils choisissent de le faire.

Mais mon cerveau n’a pas vu de visages connus pendant tellement de temps que pour lui, l’abandon est déjà acté. Les hangout, les visio-whatsapp, les vidéos personnelles envoyées, les messages vocaux à la con,… rien n’y fait : Cerveau réclame une présence humaine pour valider l’interaction. Sinon, il recommence inlassablement à me dire que personne n’est là pour m’aider, que je suis seule et que je peux bien crever maintenant, tout le monde s’en fout.

Pourtant ma mère me l’a rappelé : Si tu avais un accident, admettons, on s’en remettrait difficillement bien sûr, mais imagine si tu commets toi-même l’irréparable. Comment tu penses qu’on s’en sortirait, qu’on le vivrait ton père, ton frère ou moi ? Pense à nous, fais pas de conneries, sois forte, tu peux y arriver, t’es pas toute seule. Si je pouvais venir immédiatement te prendre dans mes bras, je les ferai les 900km. Maintenant, tout de suite, sans attendre. Mais c’est encore et toujours une histoire de contexte inédit et sans précédent, ma fille. Et on en voit tout doucement le bout. Comme toi tu vas voir progressivement le bout du tunnel avec ta déprime et tes crises d’angoisse et tu vas te relever plus forte que jamais.

Plus forte que jamais. J’aimerais bien. Comme je le disais plus haut, j’ai perdu 7kg. Je les entends les gens qui disent “oh bah t’as bien de la chance parce que moi, j’ai pris 15kg pendant le confinement”. Mec, meuf, c’est pas une compétition. Pour moi, c’est un problème parce que j’ai peur. Je sens mes os, mes côtes, je vois clairement la forme de mon bassin quand je suis allongée sur le côté, je découvre la forme de nouveaux os que je n’avais jamais eu l’occasion de toucher auparavant. Mes chats me font mal quand ils me montent dessus et qu’ils s’appuient sur mes côtes. Mais le pire, c’est que j’ai déjà tendance à faire des chutes de tension d’habitude. Et c’est pas la première fois que je manque de m’éclater le crâne en faisant une chute. Ne pas réussir à manger, ne pas réussir à bouger, maigrir et sentir mes forces me quitter progressivement, et me savoir en confinement, sans aucun ami qui puisse venir pour me motiver, pour me faire à manger, pour m’épauler, pour m’accompagner, ça a été horrible. Il a fallu que je sois à la fois l’incapable loque humaine qui se trainait parfois sur le sol à la force de ses bras pour changer de pièce et l’humain responsable qui devait être capable de faire la vaisselle, préparer à manger, choisir les bons aliments pour ne pas davantage me dégoûter de la nourriture. Pendant des jours, le midi comme le soir, c’était une épreuve. ON m’avait dit “si ton corps ne veut pas, faut pas le forcer”. Mais pour moi, c’est pas possible, c’est pas envisageable de perdre autant de force et de laisser mon corps, encore une fois, dicter sa loi. Non, je veux pas crever doucement de malnutrition. Puis progressivement, les soirs ça allait mieux. J’ai donc pris la décision que mon moi du soir serait l’allié dont j’ai besoin les matins et les midis pour survivre aux débuts de journée.

Progressivement, ça a fonctionné. A force de stratégie, de petits mots, de vidéos à ma propre intention, de petites attentions pour mon moi faible du lendemain matin.

Aujourd’hui, je constate que même si durant plusieurs jours, ça a été, j’ai rechuté. Pas de vraies crises d’angoisse où j’envisageais uniquement deux choix : l’hôpital psychiatrique et m’ouvrir les veines (mais Anon, mon chat, me dissuade toujours de faire ces choix à la con avec son regard d’une douceur incroyable). Juste des crises de larmes et parfois mon cerveau qui me dit “tout n’est pas fini, on peut encore rétropédaler et tu peux encore rechuter. Parce que tu penses avoir toucher le fond mais je peux t’assurer que tu t’en sors bien. Et tes collègues, tes amis, ta famille, tu ne les reverras jamais…”. Oui, mon cerveau est un putain de gros salopard de sadique. “tu ne les reverras jamais”. Combien de fois j’ai pas entendu ça dans ma tête au réveil…

Mes médecins et les différents psychothérapeutes avec qui j’ai discutés durant le confinement m’ont tous incité (ordonné) de sortir. “Vous devez sortir, prendre l’air au moins. Faire le tour du pâté de maison”. Puis c’est devenu “Appelez un ami et demandez à cet ami de se promener avec vous. Vous en avez le droit tant que vous respectez les distances”. Et là, le constat : les amis ne veulent pas. Parce qu’ils ont peur, parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’ils sont occupés ou qu’ils ont fait le choix de rester enfermés seuls. Les seuls qui voudraient bien habitent loin. Le constat est difficile à admettre : il n’y a personne pour faire quelques pas avec moi. J’ai du l’admettre, le digérer et vivre avec. Sortir, seule. Mais j’ai triché, j’ai appelé des gens. Je me baladais donc physiquement seule mais je discutais avec des collègues, des amis ou mes parents. Ca avait l’air de faire l’affaire.

1er mai. Vendredi. A quelques jours de la première phase de déconfinement et de ma reprise du travail, Anon, ma précieuse Anon, a fait un accident. Et forcément, rechute. Immanquablement. Culpabilité aussi. Parce que j’ai eu peur de pas assumer et de pas être à la hauteur. Mais je l’ai fait, j’ai été à la hauteur, j’ai fait ce qu’il fallait faire et elle va bien. Mais alors que j’allais un peu mieux chaque jour, que je sortais, que je pleurais moins, tout s’est écroulé parce que la perspective d’un monde sans elle, c’était insupportable. Je suis restée à la maison plusieurs jours d’affilée. Pour la surveiller. Pour veiller sur elle. Pour la protéger et être prête au cas où. Et puis le médecin m’a de nouveau engueulé parce que ne pas sortir affectait ma santé mentale. Donc je suis ressortie tous les jours. 9 mai. Samedi. Après ma semaine de boulot, je me dis que je vais faire une “balade sociale”. Je contacte quelques personnes mais trop tard, tout le monde a déjà des projets pour son samedi après-midi. Je décide de sortir seule. Voir tout ce monde dehors, sortir comme si de rien n’était, sans masque, en débardeur, sans gant, les uns avec les autres, des couples mains dans la main, j’ai réalisé à nouveau que mes contacts humains se font par téléphone interposé pour la plupart. Rechute. En pleine rue.

C’est un combat de tous les jours. Je lutte contre moi-même, contre mon cerveau, contre mes angoisses, mes craintes, mes peurs, mes délires irrationnels, les voix dans ma tête et je me raccroche aux faits, autant que je peux. Et aux perspectives d’avenir (même si, comme les promesses, elles ne valent rien tant qu’elles n’existent pas, et c’est bien ça le problème).

Quand vais-je revoir mes amis ? Mes collègues ? Ma famille ? Je n’ai aucune certitude. Encore à ce jour. Et je dois apprendre à me contenter de “on sait pas mais bientôt”. C’est complètement irrationel et impossible à comprendre pour moi. Mon cerveau traduit cette incertitude par “jamais”. Aucune nuance.

Je sais au moins que cette année, mes jours de congés, je ne vais pas les utiliser pour voyager seule, pour faire évoluer mon égo personnel, pour me découvrir. Je vais les utiliser pour revoir ma famille et pour me reconstruire.

Bon, je file, mon ami est arrivé, je dois filer.

Written on May 10, 2020