Je ne code pas durant mon temps libre

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J’ai longtemps codé pendant mon temps libre. Je le faisais parce que j’apprenais à coder. Je le faisais parce que je voulais prouver que j’étais capable, que je méritais d’être appelée une codeuse, une dev. Je le faisais parce que je complexais de tout ce que je voulais savoir et que la liste des technologies que je voulais maîtriser ne cessait de s’allonger au fur et à mesure que le temps avançait.

J’ai continué par la suite aussi parce que je voulais ressembler à mes collègues qui bossaient du code, bouffaient du code, pissaient et chiaient du code. Si eux le font, c’est que c’est ça que je dois faire. Donc j’ai continué, même si j’ai commencé à faire des insomnies et que j’étais de moins en moins concentrée durant la journée. J’aurais pu me restreindre, ne faire “que” deux heures de code après le repas du soir mais quand tu codes, tu vois pas le temps passer. T’aimes ça, c’est passionnant, c’est hyper stimulant parce que t’es constamment en train de te battre avec une fonctionnalité que tu veux implémenter, un bug à réparer, un concept nouveau que tu piges pas tout de suite. Ça prend des heures de coder, pas juste 5min par ci ou 15min par là. Et je me rendais compte aussi que c’était un des seuls sujets de conversation que les collègues avaient. Sociabiliser passait par l’étape de vivre les mêmes choses qu’eux. Yep, je me suis foutue une putain de pression et ça a pas aidé.

Et puis un de mes collègues a eu un souci cardiaque, et la première chose qu’il m’a dit quand je l’ai contacté alors qu’il était à l’hôpital, c’était : “tu peux me ramener mon ordinateur ?”. Et je me suis dit “non mais tu peux attendre 5min de te remettre d’une opération avant de te rejeter dans ta passion, non ?”. Puis plus tard, j’ai réalisé en checkant mes mails professionnels qu’un autre de mes collègues, marié et un gosse, continuait de bosser et d’envoyer des mails en plein milieu de la nuit, et ce quasiment tous les jours. Là, je me suis dit “putain mais il fait comment pour se passer de sommeil comme ça ? Moi si j’ai pas minimum 7h de sommeil dans les pattes je suis à la limite de l’épuisement”. Je me suis demandé si, à la place du premier, étant à l’hôpital, j’aurais tellement envie de coder que ça serait ma première demande. J’ai pensé au second en me demandant si j’avais envie de passer mes nuits à coder. Et puis en fait, y’avait pas à tortiller du cul pour chier droit : la réponse était clairement non. Ensuite, je me suis rendue compte que je ne faisais plus que ça alors que j’ai besoin d’écouter de la musique (et non avoir un bruit de fond), de regarder des films (pour me laisser surprendre par la réalisation, le scénario, par l’émotion), d’aller à la piscine (parce que coder c’est être le cul visser sur sa chaise, c’est pas super bon pour la santé), de traîner avec mes copains (avoir un semblant de vie sociale quoi). Bref, j’aimais coder mais je ne voulais pas que ça soit la seule chose dans ma vie. Du coup, j’ai progressivement troqué mes heures de code contre des heures de cinéma, de musique, de dessin, de piscine. J’ai recommencé à faire d’autres choses que j’aimais faire.

Et puis un jour, j’ai ressenti la honte de ne plus coder pendant mon temps libre. Ouais, c’est pourri un peu le cerveau humain : quoi que tu fasses, t’as l’impression que tu fais tout mal, tu culpabilises, t’es une merde, c’est génial la vie. Mais pourquoi putain ? Parce que les autres autour de moi, tout le monde semblait coder en dehors des heures de travail. Et je me suis dit “ok, en fait, je mérite pas mon job, le jour où ils vont réaliser que je suis pas comme eux, je vais trop me faire virer”. Alors j’ai tenté de redéfinir mes priorités et mon identité en tant que codeuse puis en tant que personne. Yep, j’aime le code mais j’aime pas que ça. Je ne suis pas que ça. J’aime faire de la basse aussi, et chanter, et dessiner, et écrire. Je ne me définirais pas en tant qu’artiste mais en tous cas j’aime bien créer, modeler, m’exprimer autrement qu’en racontant des conneries en soirée.

Puis j’ai réfléchi aux autres. Est-ce qu’il fallait les juger pour autant ? Non. Ils aiment ce qu’ils font, j’aime ce que je fais. Arrêtons de nous prendre la tête, de nous comparer aux autres. Est-ce qu’on juge certains conducteurs de la RATP d’être des rockeurs (coucou Didier Wampas) ? Est-ce qu’on juge des comptables de faire des jeux de rôles grandeur nature ? Est-ce que c’est si grave pour un responsable rayon de Carrouf d’être trésorier d’une association de jeux de plateau ? Ou pour un avocat de surkiffer le jardinage ? Non, tout le monde s’en carre le cul. Alors pourquoi ça serait différent pour un codeur ? Parce que c’est censé être une passion ?

Je fais rapidement le parallèle parce que j’ai fait le nécessaire pour être graphiste. LE métier connu pour être rémunéré en visibilité, en passion, en expérience, mais pas en sous. Comme si c’était pas un vrai métier, mais juste un hobby. Les gens traitent les graphistes comme si leurs connaissances et leurs compétences étaient les mêmes que leur gamin de 5 ans. Aucun respect donc, aucune considération. Tu m’étonnes que je me sois vite reconvertie… Coder peut être un hobby. Mais s’il est l’objet d’un travail rémunéré, tu peux aussi t’octroyer d’autres passions, non ? (la réponse est bien évidemment “oui”) Tout comme, si c’est vraiment ton ultimate passion, si tu fais ça pendant et en-dehors de ton taff, on s’en fout, tant que tu prends ton pied, non ? (réponse “oui” toujours)

J’avais honte pendant longtemps de vouloir et d’aimer faire autre chose. Je ne suis pas entièrement débarrassée du sentiment que je ne mérite pas d’être parmi eux parce que ma vie privée ne ressemble pas à la leur. Mais en fait, aujourd’hui, je me dis que s’ils ne m’acceptent pas comme je suis, bah en fait j’en ai rien à foutre.

Written on January 12, 2020